LE chef de gouvernement désigné contrôle-t-il vraiment la situation ? Tous les hommes politiques qui ont dominé leur époque étaient des personnalités faites pour s’assumer, et par conséquent pour s’imposer…
Au moment où le chef de gouvernement désigné affirme avoir tout finalisé, Ennahdha fait savoir, par l’intermédiaire de son dirigeant et député Samir Dilou, que la décision unilatérale de Habib Jemli de former un gouvernement de compétences indépendantes n’a pas fait l’unanimité au sein du mouvement. Qalb Tounès va encore plus loin, affirmant par la voix de son président, Nabil Karoui, que si le document fuité s’avère authentique, le parti n’accordera pas son vote de confiance au gouvernement. Enfin Tahya Tounès enfonce davantage le clou et ne se contente pas, à travers les déclarations de Walid Jellad, de signifier son refus de voter en faveur du gouvernement, mais aussi de mettre en cause tout le processus lié à la formation du gouvernement « en examinant la liste, nous nous demandons où est le critère de la compétence ». Une chose est cependant sûre: la formation du gouvernement n’a pas été finalement aussi facile que Jemli l’aurait pensée. Les contraintes surgissent de toutes parts, essentiellement sous la pression de certaines parties et surtout dans un environnement dans lequel il faudrait certainement être plus qu’un chef de gouvernement désigné pour pouvoir trancher.
Si on concède que le processus de la formation du gouvernement aurait dû être mieux pris en compte, on regrette qu’il n’ait point favorisé des concertations et des négociations à la hauteur de la responsabilité et des aspirations. Depuis le début des pourparlers, l’on n’avait cessé d’évoquer le rétablissement des valeurs, que ce soit au niveau des compétences, ou encore par rapport à tout ce qui est lié à l’indépendance des candidats aux portefeuilles ministériels, loin des quotas partisans. Mais l’on n’arrive toujours pas à faire face aux exigences des parties et des différents groupes de pression.
Visiblement, le paysage politique a lâché ses fondamentaux. Ses premiers responsables l’ont transformé en une obsession incontournable qui ne prend en compte que leurs propres intérêts et qui occulte tout le reste. Dans la confusion, le dérapage est considéré comme un fait ordinaire, tandis que le caractère prétendument exemplaire de l’action politique est ouvertement contredit. En un mot, c’est la surenchère politique sous-jacente à tous les niveaux. Les politiques ont pris une place considérable, bien supérieure à ce qu’ils peuvent assumer. Au fait, peut-on exiger des comportements exemplaires dans un milieu où il faut se singulariser pour s’imposer ? L’absence de stratégie et de programmes bien élaborés ne peut cependant et en aucun cas être un phénomène naturel. Elle résulte des effets conjugués de compétences insuffisantes, de modalités et d’approches mal pensées. L’on remarquera en passant qu’on ne fait pas disparaître magiquement les réalités auxquelles correspondent depuis 2011 certaines habitudes et des pratiques dénaturées. Tout cela n’est pas forcément du goût des Tunisiens et des Tunisiennes qui s’interrogent de plus en plus sur les réalisations qu’ils souhaitent voir prévaloir dans le futur. L’autre versant d’un manque d’évolution évident réside dans la transformation du paysage politique en une activité sur fond d’abandon progressif des grands principes, des orientations et de la cohérence au profit des approches, où n’interviennent depuis maintenant neuf ans que les intrus sur des projets qui ne prennent pas en considération la réalité tunisienne, ainsi que les exigences du moment.
Ici et là, l’on ne retient que l’inconscience des efforts à consentir pour la réhabilitation tant attendue. On n’en fait pas plus, voire beaucoup moins.